On pourrait voir Shéhérazade comme le récit d’une éducation sentimentale, et ce qui est passionnant, c’est la bascule du point de vue du personnage de Zach dans cette histoire, sur les femmes en particulier.
Avec ma coscénariste Catherine, on se disait souvent que c’était un film féministe porté par un personnage masculin qui, à la base, est un super macho. L’originalité était là en fait, ça faisait partie du parcours du personnage. Shéhérazade est un personnage moins présent à l’écran que celui de Zach, mais elle est essentielle à l’évolution de la mentalité du personnage de Zach, surtout vis-à-vis des femmes. On s’est basé sur des choses très réelles, et je peux vous dire que le regard de Dylan lui-même a changé au cours du tournage sur tout un tas de questions, celle des femmes et des personnes trans notamment.
Un débat enflamme la toile depuis quelques temps, celui de la légitimité culturelle. Quelle est votre position vis-à-vis de ces sujets ?
Je me rends compte que ce débat est en train de grossir, et ça me chagrine vraiment. Parler de légitimité, c’est remettre en cause le droit des artistes, c’est renier un pan de l’histoire du cinéma tout entier, Rossellini, Pasolini… Je me sens très mal à l’aise face à ce débat. Je viens d’un milieu populaire, j’ai connu la galère et le secours des assistantes sociales, mon père vivait dans une caravane. Alors oui, je ne suis pas métisse et je ne suis pas un jeune des quartiers, mais je crois avant tout en la liberté de création et en la sincérité de ce que je fais. Shéhérazade n’est pas un film de banlieue comme ont pu le décrire certains, c’est un film sur les classes laborieuses encore une fois, et ça se passe en plein centre-ville de Marseille en plus ! Je suis un peu en colère quand on fait cet amalgame. Je parlais de Ken Loach plus tôt, Ken Loach, c’est un bourgeois, et ça n’enlève en rien la qualité et la sincérité de ses films sur le prolétariat. Pour moi, ce débat n’a pas de sens, ça me rend fou qu’on puisse voir le cinéma sous cet angle réducteur… Ça conduit à la censure ce genre de chose, voire à l’auto-censure, ce qui est absurde quand on est dans un processus de création libre. Je crois qu’un artiste raconte avant tout ce qu’il a envie de raconter et choisit la manière dont il a envie de le raconter. Aujourd’hui, on étouffe à cause de la bien-pensance, c’est terrible ce qui se passe sur les réseaux sociaux, la mise au pilori de certains artistes, l’imbécilité des tweets qui sortent sur tout et n’importe quoi. Notre métier d’artiste est menacé par tout ça.
Le succès du film a été fulgurant, pour vous comme pour les talents que vous mettez en vedette. Plus de 150 000 entrées pour un premier long, ça n’arrive pas tous les quatre matins.
C’est clair ! Déjà, j’étais vraiment trop content d’être à La Semaine de la critique. C’était super intense, t’as pas le temps de te poser 5 minutes ni de véritablement en profiter parce que t’es toujours dans le taf, tu dois répondre aux demandes des journalistes… Deux jours avant de présenter le film, j’étais encore dans le mixage pour tout vous dire ! Donc j’ai adoré être Cannes avec l’équipe mais je n’ai pas tellement eu le temps de profiter de tout ça. Ça a donné un éclairage sur le film qui était indispensable pour lui. Ça a facilité sa sortie très clairement. Puis on a eu le Grand Prix à Angoulême et le bouche à oreille a semble-t-il fonctionné auprès du public. On a fait plein de télé avec l’équipe quelques semaines avant la sortie, c’était fou, complètement inattendu pour ce genre de film, pour un premier film en plus, avec des comédiens qui émergent. Je n’en reviens toujours pas. Dylan et Kenza ont des agents maintenant, Kenza a décroché un rôle aux côtés de Sandrine Bonnaire … Quand tu vois d’où vient Kenza, c’était presque inimaginable, et pourtant… Ça me réjouit tellement.
C’est quoi la suite de vos aventures ?
Je travaille un peu sur mon prochain projet, toujours en prise directe avec le réel, mais il y aura une dimension fantastique aussi. Je glisse un peu vers le cinéma de genre on va dire. C’est autobiographique et ça se passe dans le sud de la France. Je commence aussi l’écriture d’une série télé sur Marseille, et j’ouvre une boîte de production en parallèle avec deux associés, pour coproduire mes projets et produire des talents qui ne sont pas du milieu, pas du sérail. Je suis actuellement en contact avec quelques réalisateurs, c’est tout frais, on va voir.
Pour finir, quels sont les films français (ou pas) de l’année 2018 pour vous ?
J’ai beaucoup aimé Sauvage de Camille Vidal-Naquet ainsi que Border d’Ali Abbasi (Grand Prix Un Certain regard en salles le 9 janvier 2019, NDLR), pour ces scènes d’amour que je n’ai jamais vu ailleurs, je m’en souviendrai toute ma vie, elles m’ont renversé.
Propos recueillis par Ava Cahen et Franck Finance-Madureira.
Photos : Copyright Ad Vitam
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